* Mascarades

Publié le par 67-ciné.gi 2008











Mascarades comédie de Lyes Salem

undefinedundefined















avec :
Lyes Salem, Sarah Reguieg, Mohamed Bouchaïb, Rym Takoucht, Merouane Zmirli et Mourad Khen

durée : 1h32
sortie le 10 décembre 2008

***

Synopsis
Un village quelque part en Algérie. Orgueilleux et fanfaron, Mounir aspire à être reconnu à sa juste valeur. Son talon d'Achille : tout le monde se moque de sa soeur, Rym, qui s'endort à tout bout de champ. Un soir, alors qu'il rentre saoûl de la ville, Mounir annonce sur la place du village qu'un riche homme d'affaires étranger a demandé la main de sa soeur.
Du jour au lendemain,il devient l'objet de toutes les convoitises. Aveuglé par son mensonge, Mounir va sans le vouloir changer le destin des siens...


***

Entretien avec Lyes Salem (propos recueillis par Philippe Mangeot)
Philippe Mangeot : « Comment comprendre le titre de votre film, Mascarades ? »

Lyes Salem : « Le mot « mascarade » dit à la fois l'hypocrisie de certains comportements et un jeu social dont personne n'est complètement dupe : il décrit donc le parcours de Mounir et l'attitude d'une partie des habitants du village. Par ailleurs, il évoque aussi bien la légèreté du divertissement que la gravité de la critique. Cette ambivalence me plaisait, elle est soulignée par le pluriel du titre français. En arabe, le titre est au singulier - le mot sonne mieux - mais le sens est à peu près identique, même si on y entend moins l'idée du masque. »

Philippe Mangeot : « Cette connotation oriente le spectateur sur la piste du théâtre… »

Lyes Salem : « À l'origine du projet, il y a d'ailleurs une pièce de théâtre, que j'avais montée quand j'étais au Conservatoire, Journée de noces chez les Cro-Magnon de Wajdi Mouawad - l'histoire d'une famille qui, dans Beyrouth bombardée, prépare le mariage de sa cadette narcoleptique ; petit à petit, on comprend qu'il n'y a pas de marié, qu'il s'agit d'un simulacre auquel tout le monde se prête parce qu'il vaut mieux s'occuper que de subir la guerre. J'avais d'abord imaginé situer Mascarades au coeur des années 1990, au moment le plus fort du terrorisme en Algérie. Mais j'ai vite abandonné cette piste : je ne me sens pas encore d'attaque pour aborder ce thème. J'ai gardé, en revanche, l'idée de la comédie. Si je voulais traiter de sujets un peu graves, il fallait absolument rompre avec certains clichés misérabilistes par lesquels on se représente le monde algérien. »

Philippe Mangeot : « Il y a d'ailleurs,pour rester dans le registre du théâtre,une parenté avec les comédies du mariage du théâtre européen classique : Molière ou Goldoni. »

Lyes Salem : « J'ai fait le Conservatoire, ces auteurs comptent pour moi. Pourtant, quand nous écrivions le scénario avec Nathalie Saugeon,nous n'y pensions pas spécialement : nous étions plutôt partis de l'idée de la farce. Nous nous sommes progressivement écartés de ce registre parce qu'il nous semblait qu'il prenait toute la place, au point de gommer une dimension de parabole politique à laquelle j'aspirais. Nous avons donc beaucoup cherché pour trouver un ton adéquat. Parfois, il nous arrivait en effet de constater un air de famille entre ce que nous écrivions et certaines scènes du théâtre classique : dans la façon dont les jeunes amants se disputent pour mieux se retrouver, sans doute y a-t-il un peu de l'esprit de Molière ; quand Rym provoque Khliffa, qu'elle a aperçu derrière la palissade, en inventant la fable de William Vancooten, peut-être cela rappelle-t-il Goldoni. Cette parenté n'était pas volontaire, mais chaque fois que nous l'avons observée, je l'ai prise comme un bon signe : il y a dans ce théâtre-là une façon de rire du ridicule qui, livrée en arabe,peut trouver un écho incroyable dans la société algérienne que je connais. »

Philippe Mangeot : « On pense aussi - tant pour le rythme que pour le mordant social - à la comédie italienne des années 1960. »

Lyes Salem : « Cette référence est plus délibérée, même si elle ne s'est imposée qu'au moment de la réalisation proprement dite. Je n'ai pas appris à faire du cinéma,les films que j'ai aimés ont été mon école.Avec mes collaborateurs - et notamment Pierre Cottereau, mon chef opérateur - ces films ont servi de langue commune : parmi eux, il y avait les films de Kusturika, mais aussi, en effet, certaines comédies italiennes comme L'Argent de la vieille ou Affreux, sales et méchants. Il faut dire aussi que la grande comédie italienne est assez proche de la comédie algérienne des années 70 et 80, qui fut moins prolifique, mais qui a donné quatre ou cinq films cultes - Les Vacances de l'inspecteur Tahar de Moussa Haddad, par exemple. Il y avait dans ces films une dimension de satire sociale tellement poussée que je ne crois pas qu'ils pourraient aujourd'hui passer tels quels à la télévision. J'ai voulu que mon film s'inscrive dans cette mouvance, en parlant de l'Algérie d'aujourd'hui. »

Philippe Mangeot : « L'image que vous donnez de l'Algérie est donc réaliste ? Il ne s'agit pas d'une Algérie de fable ? »

Lyes Salem : « J'ai cherché, en tout cas, à trouver un équilibre entre une représentation réaliste et une histoire improbable - encore que je ne sois pas sûr que cette histoire soit si improbable que cela ! Au moment où j'écrivais, j'ai passé quelques temps à Alger.Un jour,mon petit frère me montre un trou devant une station service : il y a là un python de six mètres qui a mangé une poule et attaqué une vieille dame ; tout Alger en parle, le préfet s'est rendu sur place, on a fait venir des Russes spécialisés dans la capture des serpents. Je ne croyais pas un mot à cette histoire, je me suis pourtant surpris à la raconter sérieusement à un ami de Paris qui m'avait rejoint.En fait,le python était une couleuvre ! Mascarades ne parle pas d'autre chose que cette anecdote : dans un pays dominé par la confusion, la rumeur et l'illusion sont reines :il y aura toujours des gens pour raconter des histoires,qui s'arrogeront par là un certain pouvoir ; et des gens pour avoir envie d'y croire. Dans Mascarades, on ne saura jamais jusqu'à quel point les habitants du village sont dupes de l'histoire de William Vancooten, qui change de nationalité chaque fois qu'il est question de lui ; mais ils acceptent d'y croire. »


Philippe Mangeot : « Vous avez toutefois situé l'action, non pas à Alger, mais dans un village,qui semble coupé du monde,et même du reste de l'Algérie. »

Lyes Salem : « Je voulais que l'endroit soit un peu étriqué, que tout le monde s'y épie, qu'aucun geste n'y soit possible sans provoquer le qu'en-dira-t-on. J'aime quand la dramaturgie suscite les enjeux narratifs et psychologiques ;or dans ce type d'environnement, le fantasme fonctionne à plein régime. Cela n'en fait pas pour autant un village imaginaire, au contraire : du point de vue de son organisation sociale et de sa structure hiérarchique, il est assez représentatif de la société algérienne. »

Philippe Mangeot : « Parlons, justement, de cette organisation sociale. Au sommet de la hiérarchie, il y a un personnage invisible, le colonel… »

Lyes Salem : « On ne le voit pas dans le film, il n'en existe pas moins comme personnage fantasmagorique. Il est respecté parce qu'il est colonel. L'est-il vraiment ? Nul ne le sait. Mais en Algérie,dire « colonel », c'est dire armée,business, argent et pouvoir. Il habite en marge du village, et n'est représenté que par un cortège de berlines aux vitres fumées qu'il loue pour les mariages. Le colonel est donc celui qui exploite le pauvre avec ce qui brille, en lui vendant un tour de vingt minutes où il peut s'imaginer « arrivé ». »

Philippe Mangeot : « Puisque nous évoquons les pouvoirs du village, on peut s'étonner de l'absence de pression religieuse,alors même que le premier plan montre le minaret d'une mosquée. »

Lyes Salem : « J'ai fait ce choix. Dès l'origine du projet, j'ai voulu que les habitants du village où j'ai tourné puissent voir le film : ce petit peuple du fin fond de l'Algérie, oublié du reste du monde en dépit de tout ce qu'il a vécu depuis quinze ans, était le spectateur auquel je pensais. Il ne s'agissait pas de le caresser dans le sens du poil en évitant les sujets qui fâchent ; mais je savais qu'en abordant frontalement certains thèmes, dans un contexte où les musulmans sont très sensibles à ce qui se dit de l'Islam, les gens se seraient braqués. Il y a un combat à mener en Algérie pour maintenir un espace entre l'individu et la religion ; en un sens,Mascarades participe de ce combat par omission. Il n'était en effet pas envisageable d'aborder la question de manière superficielle, en saupoudrant ici ou là des éléments dans un film dont ce n'était pas l'objet principal. Le plan séquence du début est donc clair : un minaret se dessine dans un ciel bleu, et aussitôt, des câbles et une agitation très humaine viennent compliquer cette belle simplicité. »

Philippe Mangeot : « Pour autant, vous faites intervenir à la fin du film un muphti très sympathique… »

Lyes Salem : « Il est un peu le personnage qui tombe du ciel.Cette façon naïve d'aborder in extremis la religion est également délibérée. Rym lui dit : « je vais faire la mariée, mon cousin va faire le marié, as-tu bien compris ? » Le muphti répond : « j'ai très bien compris, je suis là ». Je ne crois pas en Dieu, mais je suis en partie de culture musulmane et tout un côté de ma famille est pratiquante. Le bruit que fait l'Islam aujourd'hui n'a rien à voir avec eux, ni avec leur expérience : leur religion est un Islam en attente, que veut exprimer, dans une certaine mesure, mon muphti. »

Philippe Mangeot : « Khliffa est le seul personnage que l'on voit prier. »

Lyes Salem : « C'est vrai. Et il est aussi le seul personnage dont l'activité consiste à construire quelque chose, le seul qui ait un chantier - fût-ce un très modeste vidéo-club. Cela ne lui vaut aucune admiration dans une société où ce qu'on montre compte plus que ce qu'on fait, mais il s'en fiche. Khliffa représente pour moi le nouveau modèle de l'Algérien. Il ne renie ni sa culture ni sa religion, mais il aspire à se les modeler comme il en a envie, dans le monde dans lequel il vit. Je pourrais en dire autant de Rym… »

Philippe Mangeot : « Si l'on vous suit dans cette lecture allégorique, pourquoi, alors, avoir fait de Rym une narcoleptique ? »

Lyes Salem : « Je revendique ce caractère allégorique. Parmi les auteurs qui me tiennent à coeur, il y a Kateb Yacine : à la fin des années 50, sa Nedjma était clairement une incarnation de l'Algérie. Rym est pour moi l'Algérie qui sommeille, qui n'attend que de se réveiller. Et elle se situe entre deux hommes qui l'aiment profondément : l'un qui incarne le passé et les traditions ; l'autre, plus constructif, est tourné vers l'avenir. Il se pourrait d'ailleurs que ses rêves la rendent plus forte, ils lui permettent au moins de s'éclipser temporairement d'un univers où n'a de valeur que ce qui brille. Rym et Khliffa sont un peu comme deux papillons qui cherchent une issue dans le marasme perclus de conformisme où ils vivent. Or cette issue n'est pas une rupture, pas une révolution : il s'agit seulement pour eux de prendre leur destin en main. »

Philippe Mangeot : « Ce conformisme, vous le montrez comme un ciment du village. »

Lyes Salem : « Il est l'un des éléments de ce qu'on appelle en Algérie la hôgra : un système très hiérarchisé de rapports sociaux, sans doute issu de la colonisation, et sur lequel prolifère la corruption. Le colonel, c'est le haut de la hôgra : il est considéré et envié, personne ne lui fait de mal, mais il fait du mal à tout le monde.Or ce type d'attitude se reproduit à tous les niveaux de l'échelle sociale : on se tiendra à carreau vis-à-vis de quiconque est au-dessus de soi, on profitera sévèrement de tout ce qui est en dessous. S'il y a dans le film un personnage qui incarne ce système, c'est Redouane Lamouchi. En Algérie, il y a des millions de bonshommes comme lui : des enfants mal grandis, des Tony Montana ratés. Les références traditionnelles dans lesquelles ils ont été élevés, la mémoire collective algérienne,les modèles de la modernité occidentale auxquels ils aspirent et qui leur parviennent principalement à travers la télévision : tout cela s'est amalgamé dans leur tête sans produire aucun sens, sinon du cynisme. Redouane Lamouchi est un hagar - le mot est très péjoratif : un type qui n'aspire qu'à être craint et vouvoyé, qui est expert en magouille,et qui piétine violemment tous ceux qui n'ont aucun moyen de se défendre. »

Philippe Mangeot : « Mounir est lui-même happé par ce système. »

Lyes Salem : « Mounir est divisé. Il rêve d'être considéré comme un individu ; mais il ne sait pas comment s'y prendre. Il est aussi bien attiré par l'indifférence à l'égard des convenances de Khliffa que par le prestige factice de Redouane Lamouchi. C'est ce second modèle qu'il privilégie, parce que c'est apparemment le plus facile. Se résoudre au mariage de Rym et de Khliffa reviendrait à assumer l'inconfort de sortir du système de la hôgra. La fiction de William Vancooten lui permet d'endosser enfin le rôle du hagar.Ce rôle, il en sait le texte par coeur, il rêvait de le dire.Évidemment, on le voit plus hésitant quand cela le conduit jusqu'à l'arnaque réelle, dans la scène où il escroque des paysans. Là, ils font tout de même quelque chose de très sale ;Redouane et Hamza sont rompus à l'exercice, Mounir n'y arrive pas encore très bien. »


Philippe Mangeot : « Le film prend le parti des femmes : elles apparaissent en effet comme des moteurs de l'émancipation… »

Lyes Salem : « Avant d'être un discours du film, c'est un fait social. Le rôle traditionnel des femmes dans la société algérienne est de s'occuper de la maison, des enfants et de la cuisine ;celui des hommes est de ramener de l'argent. Or les femmes assument beaucoup mieux leur rôle que les hommes, ne serait-ce que parce qu'il n'y a pas de boulot. Du coup, elles n'ont pas de problème de légitimité. Un homme comme Mounir est d'autant plus crispé sur le maintien des apparences qu'il parvient à peine à tenir le rôle social qui lui est assigné. Quand il demande à sa femme et à sa soeur où est leur voile, on sent bien qu'au fond, il s'en fiche ; quand il s'indigne de ce que Rym et Khliffa ont pu faire l'amour avant le mariage, sa femme a beau jeu de lui rappeler qu'ils ont fait pareil. La seule chose qui l'inquiète, c'est ce que les autres vont dire.Tout ira donc beaucoup mieux quand il parviendra à se tranquilliser sur ce point. Les femmes du film le savent très bien, quelle que soit leur génération : Rym et Habiba bien sûr, mais aussi El hadja, cette vieille dame qui a sans doute pas mal traîné ses guêtres, et à qui on ne la fait pas. »

Philippe Mangeot : « Ce décalage entre les femmes et les hommes n'était-il pas présent dans Cousines, le court métrage qui vous a valu un César en 2005 ? »

Lyes Salem : « Cousines traitait en effet de cette mal-assurance des hommes qui rend la vie des femmes si compliquée. Et il y avait déjà un personnage masculin en marge. Mais ici comme en Algérie, beaucoup de spectateurs ont cru que cette singularité venait du fait qu'il avait vécu en France. D'une certaine façon, Mascarades veut régler ce malentendu : Khliffa n'est jamais sorti de son village. »

Philippe Mangeot : « Curieusement, si Rym, Khliffa et même Habiba parlent beaucoup de voyager, il n'est jamais question de quitter l'Algérie… »

Lyes Salem : « Je sais bien sûr que beaucoup d'Algériens ne songent qu'à partir de leur pays, et combien ce rêve peut être légitime. D'autres films en parlent très bien. Dans Mascarades, je voulais montrer que d'autres désirs existent : il y a des Algériens qui rêvent leur vie en Algérie, qui voudraient juste que ce soit un peu plus simple.Pour eux,voyager n'est pas émigrer, ce devrait être aussi pouvoir partir en vacances, dans un pays dont beaucoup ont oublié la splendeur. Si Rym et Khliffa incarnent pour moi l'avenir de l'Algérie, c'est aussi en cela. »

Philippe Mangeot : « Est-ce, justement, pour la beauté du paysage et de la lumière que vous avez choisi de tourner dans les Aurès ? »

Lyes Salem : « Pas seulement : les Aurès m'intéressaient aussi parce que c'est un décor de western. Au moment du rodéo des berlines, ou quand Mounir roule des mécaniques, je voulais qu'on pense aux cow-boys de Sergio Leone. »

Philippe Mangeot : « Qui sont les comédiens du film ? »

Lyes Salem : « Je tenais à ce qu'ils soient tous des Algériens d'Algérie. Les figurants et la plupart des petits rôles habitent la région où nous avons tourné. J'ai trouvé Guemra Oum El Kheir (El hadja) dans une maison de retraite, elle n'a jamais été actrice. J'avais vu Rym Takoucht (Habiba) dans Vivante, de Saïd Ould Khelifa, et j'avais été impressionné par son énergie. Et j'ai rencontré Sarah Reguieg (Rym) et Mohamed Bouchaïb (Khliffa) au cours des auditions que j'ai organisées à la cinémathèque d'Alger. Sarah a vingt ans, elle n'avait fait qu'un téléfilm ; et Mohamed fait des sketches à la télévision. »

Philippe Mangeot : « A-t-il toujours été prévu que vous jouiez Mounir ? »

Lyes Salem : « J'y pensais en écrivant le rôle, mais au moment du casting, je m'étais aussi réservé la possibilité d'être Khliffa. Pour ce dernier, je cherchais un comédien aussi décalé que peut l'être le personnage dans le village. Quand Mohamed a fait les scènes d'essai, il m'a fait mourir de rire, au point qu'il m'a paru trop drôle pour le personnage. J'ai mis quelques heures à comprendre que j'avais trouvé mon Khliffa : il était tellement décalé qu'il tranchait même sur la façon dont je l'avais imaginé ! D'un côté,Mohamed est exactement le personnage - il est totalement dépourvu de machisme, incapable de se mettre en colère. De l'autre, il a beaucoup contribué à le faire évoluer. Il a une gestuelle extraordinaire, c'est un type en caoutchouc : grâce à lui, certaines séquences du film ont pris un tour burlesque que je n'avais pas envisagé a priori. »

Philippe Mangeot : « Mascarades est une co-production franco-algérienne. Comment l'entendez-vous ? »

Lyes Salem : « Mon film est produit à 20% par l'Algérie. Les années 1990 ont anéanti le dispositif étatique de production et de fabrication du cinéma en Algérie. Au sortir de la décennie noire, de nouvelles structures se sont timidement mises en place, avec l'appui financier, mais aussi technique de l'étranger, la France en particulier.Pour ma part, il était indispensable de tourner ce film en Algérie, et qu'il soit joué en arabe par des Algériens. Mais il me semblait inconcevable de puiser la poésie de ce pays et de ces gens sans m'adresser directement aux premiers concernés.Avant même la sortie française, le film a été distribué en Algérie, en plein ramadan. »

Philippe Mangeot : « Comment s'est passée cette sortie algérienne ? »

Lyes Salem : « Au-delà de mes espérances. J'ai vu des gens entrer dans la salle un peu sceptiques et en sortir bluffés. Pas seulement parce que c'est un film algérien en 35 mm ! Mais parce qu'il est parlé dans l'Algérien d'aujourd'hui, et pas dans l'Arabe littéraire, ni dans cette langue intermédiaire et pseudo-noble que l'on parle à la télévision. Surtout, les débats qui ont suivi les projections ont montré que le film remplissait son double contrat : celui de la comédie et celui de la critique sociale. Dans les deux cas, cela a contribué à désapeurer les gens, à libérer la parole. Nous avons entendu des choses que l'on ne se permet jamais de dire en Algérie : on a décrit le film comme un coup de pied salutaire dans une société très conservatrice ; des jeunes se sont mis à évoquer les tabous qui leur empoisonnent la vie,l'amour avant le mariage,la possibilité de partir à deux… La plupart des spectateurs s'identifient volontiers au personnage de Khliffa et beaucoup moins à celui de Mounir. Le personnage de Mounir passe, auprès des gens qui lui ressemblent, pour quelqu'un qui n'a rien compris : c'est plutôt bon signe. »

Philippe Mangeot : « Si le film s'adresse notamment aux Algériens, comment aimeriezvous qu'il soit perçu ici ? »

Lyes Salem : « On comprendra mieux ma démarche si on me considère pour ce que je suis : un réalisateur franco-algérien, à aucun moment, je ne suis soit algérien soit français, mais toujours les deux à la fois. Ma mère est française, mon père algérien, ils m'ont élevé dans cette double culture. Je suis né en Algérie, je vis à Paris depuis l'âge de 15 ans.Mon expérience n'est donc pas celle d'un Beur.En un sens, c'est aussi à ceux qu'on appelle les Beurs que je m'adresse en leur disant : vous êtes français, votre culture est évidemment liée à l'Algérie, mais ce que vous vivez ici n'a pas grand chose à voir avec ce que vivent aujourd'hui les Algériens. Plus généralement, il s'agit aussi, à travers ce film, de montrer autre chose de l'Algérie. J'ai voulu faire un film qui ne donne aucune prise à la victimisation :un film qui refuse une certaine tendance, ici, à n'admettre de cinéma nord-africain que celui qui parle de la difficulté d'être Algérien. L'ambition politique du film est aussi celle-là. »


***

Fiche technique
Réalisation : Lyes Salem
Scénario : Lyes Salem et Nathalie Saugeon
Image : Pierre Cottereau
Son : Nicolas Provost et Pierre André
Musique : Mathias Duplessy
Montage : Florence Ricard
Mixage : Marc Doisne
Décors : Jaoudet Gassouma
Costumes : Hamida Hamzal
Produit par : Isabelle Madelaine
Coproduit par : Yacine Laloui
Une Production : Dharamsala
En coproduction avec : Laith Media et Arte France Cinéma
Avec la participation de : Canal+, Tps Star et Arte
Avec le soutien de : l'Acse-Fonds Images de la Diversité et de la Région Basse-Normandie, du Ministère de la Culture Algérien Alger Capitale de la culture arabe 2007, du Fdatic, de l'Aarc et de l'Onda.
Ventes internationales : U-Media
Une Distribution : Haut et Court
Photos : Jean-Claude Lother et Lyes Salem

***

undefined




présentation réalisée avec l’aimable autorisation de

remerciements à
Carolyn Occelli
logos, textes & photos © www.hautetcourt.com

Publié dans PRÉSENTATIONS

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article